La grande randonnée

Moshé (1er à droite au second rang) avec d'autres jeunes de Nahalal
Moshé Dayan (1er à droite au second rang) avec d’autres jeunes de Nahalal

Au cours de l’été 1934, a l’issue de la saison à la ferme, Moshé part avec deux camarades pour une randonnée hardie le long du Jourdain et dans le Néguev. Les jeunes de Nahalal ont l’habitude d’entreprendre des randonnées de ce genre entre la saison des moissons et celle des labours et de l’ensemencement. Ils parcourent de longues distances autour du lac de Tibériade, jusqu’au sommet du Hermon mais sans jamais s’aventurer plus au sud que Betshéan, car au delà il n’y a plus vraiment de villages juifs avant l’usine de potasse située à l’extrémité nord de la Mer Morte. Cette bande de terre sur laquelle vivent principalement des tribus bédouines est dangereuse. Mais pour Moshé, alors âgé de 19 ans, il faut oser aller plus loin. Les responsables de la sécurité du moshav lui demandent ainsi qu’à ses camarades de ne pas se mettre en danger, mais Moshé considère qu’il est suffisamment adulte pour décider par lui-même  d’entamer son long périple.

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Article à la une du 17 septembre 1934 de Davar rédigé par le journaliste Zalman Roubashov (futur Zalman Shazar, 3ème président de l’État d’Israël)

À partir de Betshéan, les trois marchent à pied le long de la rive du Jourdain en direction de Jéricho. Aucun des trois ne possède de carte topographique détaillée. Ils se retrouvent par hasard au coeur de la nuit dans un campement bédouin. Les aboiements de chiens réveillent les habitants et il s’avère rapidement qu’il s’agit du campement de l’émir Diab, l’un des chefs des grandes tribus bédouines de la vallée du Jourdain. Il apparaît très impressionné par leur courage et par l’arabe galiléen avec lequel ils s’expriment. Ils sont reçus dans la tente du Cheik pour la nuit et sont invités à un dîner princier. L’émir désigne l’un de ses hommes pour les accompagner jusqu’à Jéricho.

Ils aboutissent ensuite à l’usine de potasse. Ils ont l’intention de poursuivre plus au sud le long de la rive orientale de la Mer Morte mais le commandant local de la Haganah le leur interdit et les expédie à Jérusalem. De Jérusalem et en dépit des avertissements, ils prennent la route du sud. Ils s’attardent quelques heures à Hébron, là-même ou cinq ans plus tôt les arabes ont massacrés les juifs. Ils visitent les tombeaux des patriarches, mais ils ne peuvent voir leurs cénotaphes car les juifs ont l’interdiction de grimper vers la mosquée au delà des sept premières marches. De là ils prennent un taxi direction Beershéva où ils les hôtes d’un juif qui habite en ville et qui est le délégué dur KKL, en charge de l’acquisition de terres.

Le lendemain ils partent pour Gaza. Moshé et ses camarades suscitent la colère d’un policier arabe parce qu’ils s’obstinent à lui parler hébreu et exigent qu’on les présentent à quelqu’un qui comprenne la langue des juifs qui est l’une des trois langues officielles de Palestine. Le policier arabe soupçonne que les jeunes gens qu’il a interpelé parlent l’arabe et exige qu’ils lui répondent dans la langue de la terre, qui selon lui, appartient aux arabes. Seule l’intervention d’un politicien britannique parlant hébreu permet d’éviter un drame. Les randonneurs sont expédiés par bus jusqu’à Jaffa et delà ils rejoignent la ville juive à pied.

La première page du 17 septembre 1934 de Davar
La première page du 17 septembre 1934 de Davar

À cette étape de sa vie, Dayan qui est un lecteur invétéré de la presse quotidienne, mesure déjà très bien la puissance de la communication. Il comprend que ce dangereux et hardi voyage qu’ils viennent d’accomplir, lui et ses compagnons, mérite d’être connu du public. Dès son arrivée à Tel-Aviv, le groupe se rend à la rédaction de Davar, le journal ouvrier à grand tirage afin de raconter ce qu’il a vécu. L’article qui parait dans l’édition du lendemain insiste sur le courage et la fierté nationale manifestés par les jeunes insistant sur leur droit à s’exprimer en hébreu. Le journal est lu par tous les habitants de Nahalal et quand le lendemain, les trois jeunes arrivent à la maison, l’histoire de leur héroïsme est déjà largement connue. Dayan, chef du groupe, trace pour lui-même un chemin pavé de louanges. Pour lui, cette randonnée est une façon de délimiter les frontières, l’identité et la propriété de ce qu’il considère comme sa patrie, même si dans les années 50s et 60s, il acceptera avec quelques grincements de dents la politique de Ben Gourion alors résigné au partage de la Palestine. De son point de vue la patrie s’étend sur tout le territoire que ses pieds ont foulé depuis son enfance, des rives du Jourdain à la Méditerranée.

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