La doctrine défensive

Moshé Dayan est convaincu que le gouvernement n’a pas pris la bonne décision. Mais sa loyauté envers Ben Gourion n’est pas ébranlée. Il écrit « Je considérai ben Gourion non seulement pour son autorité formelle mais aussi comme guide politique et national. » C’est pourquoi Dayan ne s’entête pas et fait passer l’armée dans une configuration défensive. Lors d’une réunion des cadres de l’État-major, il s’exprimer clairement et résolument : « Il nous est demandé de préparer une campagne défensive… Nous devons nous préparer à un embrasement à l’initiative de la partie adverse. » Ben Gourion sait parfaitement que Dayan n’est pas en paix avec sa décision mais il est sur et certain qu’il acceptera sa vision des choses. Il va même jusqu’à le pousser à poursuivre ses échanges avec les rédactions des journaux quotidiens où il donne son point de vue sur la situation.

Dayan et Ben Gourion pendant la bataille de suez, 1956

Cependant, Dayan ne se prive pas de décrire à Ben Gourion les faiblesses de la doctrine défensive. Lors de la réunion de l’État-major restreint du 16 février 1956, il lui dit : « Une des questions permanentes dans cette affaire est de savoir qui dansera au son de la flûte de qui. Si l’armée égyptienne est en ordre de bataille avec ses tanks et tout son armement offensif disponible, et que nous devons nous organiser alors que son attaque a déjà débuté, il nous sera difficile de reprendre l’initiative. Mais dans le cas contraire, malgré tout l’armement en leur possession et s’ils n’ont pas encore mobilisé tous leurs moyens, et que nous attaquons les premiers, cela créera une telle panique chez eux qu’ils ne pourront pas utiliser toute leur puissance. »

Dayan poursuit la construction de sa pensée. Début janvier 1956, il annule tous ses rendez-vous et s’enferme trois jours dans son bureau pour se plonger dans la préparation d’une solide conférence sur sa vision personnelle. En en vingt pages au format folio, il dessine sa doctrine politico-sécuritaire.

Au milieu du mois, il réunit tous les officiers de Tsahal, colonels et généraux et leur expose sa doctrine. Bien que celle-ci inclue des aspects militaires et opérationnels et qu’il commence par préciser qu’il s’abstiendra de toute conclusion, c’est clairement une conférence plutôt attendue de la part d’un ministre de la défense. Dayan ne s’intéressait pas aux idéologies et ne prenait pas de position morale ou visionnaire. Pourtant sa conférence devant les officiers représente un résumé solide et complet de sa compréhension des problèmes de sécurité auxquels fait face l’État d’Israël à cette période. Le titre de sa conférence est « appréciation de la situation », en référence à ce qu’on préparait depuis une douzaine d’années : « la situation dans le sionisme et dans le monde ».

Dayan n’est pas prêt à dire de manière définitive que l’Égypte attaquera Israël mais il affirme avec force :

16 September 1956 au Caire, Nasser à droite du Général Amer, chef d’État-major, lors d’une parade militaire.

Une nouvelle réalité est susceptible de se dessiner suite à la « transaction tchèque » (l’accord de livraisons d’armes soviétiques à l’Égypte par l’intermédiaire de la Tchécoslovaquie en 1955, ndlr) et sans « transaction israélienne » équivalente, qui inciterait les Égyptiens à entrer en guerre. L’Égypte a la possibilité de se renforcer et de faire progresser leur leadership dans le monde arabe sans une guerre avec Israël. Cependant, tôt ou tard, elle devra se mesurer avec Israël afin d’acquérir ce leadership au Proche-orient. Nasser pourrait arriver à la conclusion que la période allant des mois de juin à août 1956 représente pour lui une occasion qui ne se représentera pas, à un moment où il intégrera l’armement soviétique alors qu’Israël n’aura pas réussi à acquérir un armement équivalent.

Il ne remet pas en question la décision du gouvernement : « Il est convenu et accepté par nous que nous devons nous préparer sur la base de l’hypothèse qu’Israël ne se lance pas dans une guerre préventive ». Néanmoins, il se prive pas d’une analyse approfondie des dangers possibles d’une guerre déclenchée à l’initiative de l’Égypte et par surprise. Il s’inquiète du risque que l’ennemi « réussisse à progresser de 40 ou 50 kilomètres sur la route menant à Tel-Aviv » avant que Tsahal parvienne à s’organiser pour le stopper.

Dayan juge sévèremment les conséquences du status quo de ni guerre ni paix :

Les arabes peuvent vivre avec un status quo qui en réalité est une situation de guerre dans laquelle les nouveaux immigrants ne viennent plus, le Néguev n’est pas irrigué, le canal de Suez demeure fermé, Eilat reste assiégé, le boycott économique se resserre et les escadrons de fédayin s’organisent et s’activent.

Il arrive alors à sa conclusion :

Toute paix n’est pas synonyme de construction et toute guerre n’est pas qu’une destruction. Que vaut une paix basée sur la réalité présente dans laquelle les eaux du Jourdain ne peuvent  arriver dans le Néguev et les rives d’Eilat ont fermées ? Je n’affirme pas que la force soit la seule voie à emprunter. Je suis simplement d’avis qu’étant données les relations actuelles entre les Arabes et Israël, nous devons serons obligés de choisir l’usage de la force pour le respect de nos droits et de nos vies ou l’abandon de ceux-ci.

Moshé Dayan et Moshé Sharett accueille le Premier Ministre Birman en 1955 à l’aéroport de Lod

Dans la seconde partie de sa conférence, en lien avec la décision gouvernementale de s’abstenir de toute initiative militaire, Dayan détaille face aux officiers les grandes lignes du travail de Tsahal pour l’année 1956. Il décrit le coeur de ce programme, la ligne défensive et les efforts qui devront être accompli pour renforcer les moyens de défense de l’État. Il n’est pas nécessaire de savoir lire entre les ligne pour comprendre les conclusions s’efforce de ne pas dévoiler précisément. C’est un programme théorique et détaillé d’une école de pensée à l’opposé de la politique menée par le ministre des affaires étrangères et son équipe, qui pour l’heure, a le soutien du Premier ministre également ministre de la défense.

Image

Moshé Braski

Moshé Braski
Moshé Braski

Dans l’après-midi du 22 novembre 1913, un mule passa la tête à l’intérieur de la cour du kvoutza Dégania, fondé quatre années auparavant, là où le Jourdain quitte le Kinnereth. Plusieurs camarades de la jeune communauté sortent de leurs chambres, le coeur encore meurtri. Quelques heures auparavant, leur camarade Moshé Braski était  parti sur sa mule en direction de Ména’hamia situé à quelques kilomètres en descendant la rivière vers le sud. Braski etait parti pour rapporter en toute urgence un médicament de la clinique locale afin de maîtriser l’hémorragie dont etait victime son ami Shmuel Dayan. Le soir venu, comme Moshé Braski tardait à revenir, un groupe de camarades sortit afin de comprendre ce qui lui était arrivé. Peu avant l’aube, ils trouvèrent son cadavre mis en pièces près de la rivière.

Ména’hamia Maison du docteur et musée

Il s’avéra que Braski avait été attaqué en chemin par un groupe d’arabes qui voulaient lui dérober son argent et sa mule. Moshé Braski réussit à faire cuire sa mule mais il fut touche par une balle et achevé par ses assaillants. Bien qu’il ait été victime d’un vol, les camarades du kvoutza estimèrent qu’il avait été agacement victime de l’hostilité croissante des arabes envers l’entreprise sioniste qui souhaitait fonder un avant-poste juif au cœur d’une zone de peuplement arabe en Eretz Israel.

Image

Un prénom

Degania 1920 Jardin d'enfants
Degania 1920 Jardin d’enfants

Le 20 mai 1915, quand naquit le fils aîné de Shmouel et Dvora Dayan, une année et demie après la mort de Moshé Braski, ils l’appelèrent Moshé. L’aspiration des pionniers sionistes à bâtir en Eretz Israel une société juive nouvelle leur avait donné l’habitude de donner à leurs enfants nés dans le pays des prénoms modernes comme Aviva ou Zohar, noms des deux autres enfants de Shmuel et Dvora. Ainsi les enfants de Moshé Dayan portent des noms de héros bibliques: Yaël, E’houd et Assaf. Le prénom Moshé avait une consonance désuète. Il y eu d’autres enfants nés dans les villages sionistes qui furent appelés Moshé, en souvenir d’un père ou d’un grand-père né en exil, mais la plupart souhaitaient échapper au timbre désuet en se trouvant un surnom affectueux comme Moshic ou Mosh. D’ailleurs Dvora préférera le timbre russe en surnommant son fils Moumik ou même Moussinka pendant les moments de tendresse.

Image

Shmuel Dayan

Shmuel Dayan
Shmuel Dayan

Shmuel Dayan naquit en 1890 au sein d’une famille juive pauvre et attachée à la religion de ses pères dans un petit bourg dans les environs de Kiev en Ukraine. Shmuel reçu une éducation traditionnelle juive en yddish et en hébreu. Il arrêta ses études après sa bar-mitsva et rejoignit le commerce de son père. Sous l’influence des journaux en hébreu qui arrivaient d’Eretz-Israel et des délégués sionistes qui passaient de temps en temps dan la petite ville, Shmuel, son frère et sa sœur partirent en 1908 pour Odessa et de là, ils embarquèrent pour le port de Jaffa. Comme tous les immigrants sionistes de cette époque, Shmuel fut frappé par la vision déprimante d’une Jaffa délaissée et négligée. Dans ses mémoires, Moshé Dayan écrira :  » Une foule et des cris dans un arabe étrange, des ânes, de chameaux, des ruelles obscures, des femmes au visage voilé et la puanteur partout. Mon père, habillé d’une chemise noire boutonnée au cou et d’un lacet lui servant de ceinture aux hanches, se sentait étranger.  »

Jaffa par Félix Bonfils en 1867
Jaffa par Félix Bonfils en 1867

Pendant les trois premières années en Eretz-Israel, Shmuel ère d’un établissement agricole à un autre. Il exerce différents métiers en tentant de s’habituer aux travaux manuels, et comme, la majorité des immigrant de cette époque, il souffre de la fièvre. Shmuel qui maîtrisait l’hébreu dès son enfance, s’adapte rapidement à l’hébreu moderne qui commence à se cristalliser dès lors que les juifs palestiniens l’adoptent comme langue usuelle et non uniquement comme langue liturgique. Apres cette phase d’apprentissage des conditions de vie en Eretz-Israel, il décide de s’établir en Galilée. Il achète un pistolet, une ceinture pour munitions et des bottes.

Image

Dégania

Dégaina vue d'avion en 1918
Dégaina vue d’avion en 1918

En 1910, Shmuel Dayan rejoint un groupe (Kvoutza) organisé en commune. La kvoutza aspirait à fonder une exploitation agricole indépendante et basée sur une vie collective totale. A la fin de l’année, les institutions de peuplement de l’organisation sioniste mettent à la disposition de la communauté une partie des terres sur les bords du lac Kinnereth, acquises quelques années auparavant. Ils appellent le village qu’ils fondent Dégania. Dégania deviendra le premier kibboutz établi en Palestine et il acquit plus tard le surnom de mère des kibboutzim et des kvoutzot.  » Papa et ses compagnons savaient qu’ils commençaient une révolution.  » résume Moshé Dayan à propos de cette période de la vie de son père;  » et de leur conviction ils puisèrent la force de faire face aux difficultés.  » Le passage de la vie citadine pauvre et abâtardie à une vie de travail physique d.ouvriers agricoles, parlant hébreu, créateurs d’une culture et de nouveaux modes de vie, représentait vraiment une révolution.

Image

Dvora Zatlovsky

Dvora Zatolovski en 1920

La mère de Moshé naît également en Ukraine, dans un petit village proche des rives du Dniepr, d’un père cultivé et aisé qui faisait le commerce du bois et qui etait le seul juif du village. Il parlait correctement l’hébreu et avait même publié dans cette langue des articles et des livres. Mais dans la famille de Dvora et dans son entourage on ne parle que le russe et elle apprendra l’hébreu qu’après son Alyah en Eretz-Israel. Dans son enfance elle étudie à l’école communale du village puis au lycée russe du district et à l’université de Kiev. Là elle découvre la grande littérature russe et les idées révolutionnaires de sa génération. A propos de la jeunesse de sa mère, Moshé Dayan raconte :  » Elle aimait de toute son âme la terre russe. Elle connaissait la langue et en etait imprégnée. Les souffrances du prolétariat russe étaient au centre de ses attentions.  »

Haifa en 1910
Haifa en 1910

Elle redécouvre son appartenance au peuple juif à l’âge de 21 ans quand elle s’engage volonté ment en 1907 pour être sœur de charité sur le front Bulgare pendant la guerre des Balkans. Dans ses mémoires elle écrivit :  » Une erreur est apparue dans la vie. Le peuple à qui je voulais donner les forces n’était l’as le mien. Et je m’aperçus que je ne connaissais pas le mien. Je ne connaissais pas sa vie et sa langue. Je devais recommencer à zéro.  » En janvier 1913, Dvora quitte sa maison. Quand elle arrive dans le port de pêcheurs misérable et désolé de ´Haïfa, elle éclate en sanglots. Elle porte sur elle une lettre de recommandation pour un des membres de Dégania vers où elle se rend immédiatement. Son fils raconte l’accueil qu’elle y reçut :

« Ils l’accueillirent avec scepticisme et soupçon. Jeune et jolie, portant des tresses noires, délicate et fragile, des yeux marrons débordant d’intelligence, fille de parents aisés, diplômée de l’université et possédant de réelles capacités littéraires.  Quel lien entre elle et le travail agricole dans la vallée du Jourdain ? »

Pendant des années le cœur de Dvora fut partagé.

« Ma mère avait quitté les rives du Dnierp mais avait refusé d’abandonner son bagage culturel. La beauté de l’enseignement de Tolstoï, la chaleur de l’écriture de Tchekov, les vers brillants de Poushkine, la douceur de Gogol avaient façonné sa culture et formé son âme. Étant donné cela, il lui fut difficile de s’intégrer au groupe de camarades de Dégania très liés à la culture hébraïque, et de s’acclimater à son nouvel habitat. Là-bas aussi elle se sentit étrangère. »

Image

Divergence idéologique

Fondateurs Degania A en 1918. Shmuel à droite
Fondateurs Degania A en 1918. Shmuel à droite

Shmuel Dayan est un ouvrier appliqué et après trois années de travail il devient un agriculteur habile et expert. Mais il a aussi des prétentions idéologiques et politiques. Il sait s’accrocher à une idée sans être déstabilisé; il peut parler longuement et prononcer des discours enflammés sur l’avenir du sionisme et sur la conduite de l’installation des juifs en Eretz-Israël, aussi aisément qu’il se tient armé sur son cheval pour garder les champs que l’on laboure et ensemence.

Rapidement apparaît une divergence d’opinions au sein de la petite kvoutza. Shmuel Dayan estime que le rôle des pionniers n’est pas de fonder chacun une maison tranquille et prospère, mais de créer de nouveaux noyaux d’implantations agricoles. Apres une période de fondation sur un lieu d’installation, Shmuel prêche qu’ils devraient se déplacer plus loin et paver la route a d’autres établissements. La majorité des membres de la kvoutza considéraient que le temps était venu de se fixer et de fonder un foyer.

Un différent encore plus véhément s’engage autour de la question de l’organisation de la vie collective du village. Les fondateurs du Kvoutza croyaient à une idée fondamentale du kibboutz : le collectivisme complet et l’égalité absolue. Ils voulaient fonder une communauté dans laquelle les membres seraient associés dans tous les aspects de la vie : la propriété des biens, la satisfaction des besoins, la vie culturelle et même l’éducation. Tous seraient égaux entre eux et le kibboutz remplacerait la famille. La famille privée serait une question secondaire.

Shmuel et quelques autres membres croyaient aussi à la copropriété du sol et des moyens de production, mais la communauté devait reposer sur la cellule familiale. Chaque membre serait libre de développer son exploitation familiale selon sa volonté et son habilité. Seuls la vente de la production et la gestion des engins agricoles, trop onéreux pour être acquis par une famille, seraient de la responsabilité de la collectivité.

Face à l’idée du kibboutz, Shmuel et ses camarades mettent en avant l’idée du moshav des travailleurs, basé sur les exploitations familiales séparées, qui laisse une place à la vie personnelles et aux initiatives privées; coopérative et non collectivisme. Il s’avérera plus tard que le moshav est la forme d’exploitation préférée pour des centaines de milliers d’immigrants qui arriveront en Eretz-Israêl avant la fondation de l’Etat. Le mouvement des moshavim s’étendra et comptera des centaines de villages. Mais dans ces premières années le kibboutz était au centre des attentions et la compétition entre deux formes d’organisation devint le foyer d’une polémique ardente au sein du mouvement pionnier. Elle débuta dans la cour de Dégania.

Image

Premiers problèmes aux yeux

Dvora et Moshé en 1918
Dvora et Moshé en 1918

Moshé passa ses cinq premières années à Dégania. Il fut un enfant maladif qui souffrit gravement d’un trachome, une maladie des yeux répandue à cette époque parmi les paysans arabes pauvres et aussi fréquente chez les enfants des nouveaux pionniers sionistes. Dans un effort pour sauver les yeux de Moshé, sa mère et lui fréquentent souvent les dispensaires et l’hôpital de Tibériade ainsi que le lointain hôpital de Jaffa. L’oeil qu’il perdra plus tard au combat, était dans son enfance très atteint et la plus part du temps à moitié fermé.

Albert Abraham Tycho

C’est seulement après la conquête de la Palestine, alors aux mains des ottomans, par les anglais durant l’été 1918, que Dvora réussit à amener son fils à Jérusalem, au dispensaire du docteur Albert Abraham Tycho, expert reconnu dans les maladies des yeux. Après quelques mois son état s’améliore. Voici comment Dégania est restée gravée dans la mémoire de Dayan  :

« Des nuages de poussière dans les yeux et qui ne permettaient pas de respirer. Des souvenirs absolument négatifs… La poussière les conditions matérielles affaiblissaient jusqu’à l’anéantissement des forces. Dès l’aube la chaleur augmentait, la soif nous tourmentait et l’eau était fade. Une nourriture insuffisante : de maigres repas constitués de raifort dans de l’huile et une tranche de pain. L’après-midi, un vent brulant asséchait jusqu’à l’étouffement. Les nuits étaient chaudes et nous étions inondés de sueur. Les camarades s’extraient de leurs maisons pour dormir à l’extérieur. La poussière, les moustiques et les mouches apportaient des maladies aux hommes et au bétail. »

Image

Aaron David Gordon

David Aaron Gordon
David Aaron Gordon

Dans la pièce attenante à celle des parents de Moshé, habitait en ces années-là Aaron David Gordon qui possédait une longue barbe, des habits simples de paysan et une casquette. Gordon le végétarien et le pacifiste était l’un des leaders officieux émergeants parmi les fondateurs du mouvement ouvrier juif en Erez-Israël. Dayan enfant se souvient de lui uniquement comme celui qui  » restait dans sa chambre à écrire alors que tous partaient travailler.  »

Station de train de Tsema'h en 1928
Station de train de Tsema’h en 1928

Il conserve de bien meilleurs souvenirs de ses visites avec son père à Tséma’h, un bourg arabe proche de Dégania, sur les rives du Kinnereth. Il y avait là-bas une gare ferroviaire qui enthousiasmait son imagination et un marché coloré où il pouvait regarder les paysans et les commerçants arabes qui s’entassaient sur place et qu’ils pouvaient voir comme des êtres humains s’occupant de leurs affaires et non comme des ennemis menaçants.

 

Image

La déclaration de Balfour

Lord Arthur Balfour et la déclaration adressée à Lionel Walter Rothschild
Lord Arthur Balfour et la déclaration adressée à Lionel Walter Rothschild

Néanmoins parmi les instants les plus aigus forts gravés dans sa conscience concerne l’accroissement de la tension entre arabes et juifs après la grande guerre. Avec la déclaration de Lord Balfour, le ministre des affaires étrangères de sa gracieuse majesté, le 2 novembre 1917, le gouvernement britannique s’engageait à faciliter la création en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. La publication de la déclaration suscita l’opposition des arabes et aiguisa leur conscience nationale. Au printemps 1920, éclatent à Jérusalem et dans d’autres régions d’Erez-Israël de violentes manifestations de citoyens arabes qui entrainent des pertes en vies humaines des deux côtés et par l’abandon de quelques villages juifs incapables de faire face aux attaques arabes.

Les arabes se concentrent dans la vallée du Jourdain dans l’intention d’attaquer un camp de soldats indiens posté situé à Tséma’h et l’un des villages juifs des environs. Quelques temps auparavant, un nouveau groupe de pionniers s’était établi dans un village fondé au sud de Dégania. Shmuel Dayan, fidèle à sa conception du devoir d’un ancien pionnier de susciter de nouveaux villages, se joint à ce groupe et installe sa petite famille dans le nouveau point de peuplement nommé Dégania Bet. Il fait office de formateurs nouveaux pionniers et assume le rôle de commandant de la place. Dvora cuit du pain et participe aux travaux des femmes.

Les arabes se fixent comme objectif ce nouveau village qui ne compte alors qu’une grande baraque en bois et quelques tentes. Il n’y a pas encore de fortifications ou de clôtures. Lorsque l’attaque semble imminente, on évacue les femmes et les enfants vers Dégania Alef qui était déjà entouré d’un mur. Dès que plusieurs centaines d’arabes commencent à attaquer, il devient clair pour Shmuel que la poignée d’adultes qui restent pour protéger la place ne pourra pas faire face et il ordonne la retraite. Il part le dernier après avoir mit le feu à la grande baraque en bois. Une haute flamme visible depuis la cour de Dégania Alef consume la baraque; son souvenir restera longtemps imprimé dans la mémoire de Moshé, garçon âgé de 5 ans. L’opposition entre la curiosité qu’éveillaient en lui les arabes qu’il voyait dans le souk de Tséma’h et la conscience de la menace croissante du nationalisme arabe symbolisé par la flamme de la baraque de Dégania Bet, accompagnera Dayan toute sa vie.

Image