La blessure

Approchant du poste de police, les australiens et les hommes de Dayan essuient un tir nourri provenant de plantations aux alentours et de positions occupées par des renforts français sur le côté de la route, et dont la présence n’avait pas été signalée. Le combat s’engage. Dayan, paysan musclé, parvient à envoyer une grenade à 25 mètres de distance, et qui fait taire une mitrailleuse positionnée sur le toit du bâtiment. Aidé par son ami Zalman Mart, il monte à l’assaut couvert par les australiens et se rend maître du poste de police. Dans le bref rapport qu’il rédigera alors qu’il se trouve encore à l’hôpital, il écrira dans son style laconique habituel : « A 5 heures le bâtiment est pris au cours d’un assaut. Nous récupérons une mitrailleuse lourde et un mortier. Lors de la prise du bâtiment, quatre soldats ennemis sont tués et une dizaine sont faits prisonniers.

A présent les rôles sont inversés, les assiégeants deviennent les assiégés. Le groupe se barricade dans le poste de police et fixant sur place les renforts de l’armée française qui voulait se déplacer plus au sud. Les juifs qui grâce à leur entrainement à la Haganah connaissent toutes sortes d’armements, mettent en action sur le toit la mitrailleuse et le mortier. Là encore, Dayan n’attend pas après les ordres de Kipin. Il décide seul d’organiser la défense du site du haut du toit d’où il observe le champ de bataille à l’aide de jumelles qu’il a récupérées sur place.

Le toit n’est pas fortifié. Le parapet n’est pas suffisamment haut pour pouvoir se tenir à l’abris des regards. A 7h du matin, une balle frappe les jumelles de Dayan. Elles sont fracassées et son oeil gauche est blessé. Des débris ont aussi atteint des muscles des doigts de la main gauche qui tenait les jumelles. Zalman Mart est appelé sur le toit. Il panse le blessé et le fait descendre à l’aide d’un brancard improvisé jusqu’au rez-de-chaussée dans une partie protégée. Comme à l’accoutumée, Mart lui demande : « Moshé, qu’est-ce que tu en dis ? » Selon lui, Dayan qui a conservé sa lucidité lui répond : « J’ai perdu mon oeil mais si j’arrive rapidement à l’hôpital, je survivrai. »

L'article de Davar du 10 juin 1941 "Catastrophe pour Moshé Dayan"
L’article de Davar du 10 juin 1941 « Catastrophe pour Moshé Dayan »

Mart racontera que Dayan blessé resta allongé pendant six heures « comme un sac, ne demandant rien, ne posant aucune question, ne se plaignant pas, ne pleurant pas. Nous luis donnions de l’eau sans qu’il la réclame… Je l’ai admiré. » Dayan racontera brièvement comme à son habitude : « J’ai reçu une balle dans l’oeil. Je n’ai  pas perdu connaissance. On m’a secouru immédiatement, mais à partir de ce moment, je ne pouvais qu’entendre ce qui se passait. »

A 13h les premiers soldats de l’armée britannique d’invasion arrivent sur place. Moshé est évacué vers l’hôpital de ‘Haïfa. Pendant toutes ces heures, ses mains n’ont pas quitté celles de Rashid. Sa mission en tant que guide avait pris fin la nuit dernière mais il avait participé au combat comme les autres. Dayan le louera abondamment pour cela.

« Je dois signaler que l’un des soldats les plus sérieux par nous fut notre guide arabe. Il s’est parfaitement conduit, comme un combattant courageux et solidaire de ses camarades pendant l’opération. Lorsque nous approchions des ponts, il marchait en tête, avançant avec prudence et intelligence. A la rivière, dès qu’il apercevait un des français surgissant au milieu des arbres, il lui envoyait une balle qui souvent touchait son objectif. »

Avant le début des soins à l’hôpital, dayan confie à Mart : « Cela n’est rien. J’ai vécu 26 ans avec deux yeux. Ce n’est pas grave, on peut vivre aussi avec un seul oeil. » La rédaction du journal Davar estima que le nom de Dayan était suffisamment connu. Le lendemain, le journal publie la nouvelle avec ce titre : « Catastrophe pour Moshé Dayan » et on pouvait lire : « Moshé Dayan a été blessé lors d’une opération héroïque. » Ses compagnons australiens sont également impressionnés. l’un des officiers fait part à Ruth de sa considération lorsqu’ils se rencontrent au chevet de Moshé : « S’il y a quelque chose dans le domaine militaire que votre mari ignore, c’est que cela ne vaut pas la peine d’être connu. » L’hôpital Hadassah émet un communiqué où il est écrit :

Le communiqué de l'hôpital Hadassah du 8 juin 1941
Le communiqué de l’hôpital de Haïfa du 8 juin 1941 signé par le Dr. Rabinowitch

Nous confirmons que M. Moshé Dayana été admis dans notre hôpital le 8 juin 1941. L’examen a révélé qu’il a une blessure au côté intérieur de l’oeil gauche, provoquée par l’entrée d’un projectile qui n’est pas ressorti. Le projectile a été retiré avant son arrivée à l’hôpital. Le front a été ouvert et des os du nez ont été brisés. l’oeil gauche a été crevé. La radiographie a établi qu’il reste de nombreux fragments métalliques dans les os du visage. Il restera aveugle de l’œil gauche et aura besoin d’un long traitement pour les os brisés du nez. Par ailleurs trois doigts de la main gauche sont atteints. Deux d’entre eux nécessiteront des soins prolongés et il se peut qu’ils demeurent paralysés. »

 

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