Le Bataillon 89

En juin 1948, l’ONU proclame une trêve d’un mois, du 11 juin au 9 juillet. Dayan repart pour s’occuper de la formation de son bataillon qui s’appelle à présent : bataillon de raid motorisé 89″. La mission de ce bataillon est de mener des raids en profondeur en terrain ennemi. Dayan choisit lui-même ses hommes qui proviennent de quatre origines : des camarades de Nahalal et d’autre villages de l’Emeq, des membres du Le’hi dissout après la proclamation de l’État d’Israël et la formation de Tsahal, des vétérans des unités des opérations de la Haganah de Tel-Aviv restés inoccupés après la prise de Jaffa et des volontaires juifs de la diaspora venus épauler leurs frères en guerre. Le bataillon est équipé de jeeps armés de mitrailleuses et de chenilles achetées aux USA à des marchands de ferraille. Pour Dayan cela représente un défi physique difficile qu’il décrit ainsi :

Moshé Dayan sur sa jeep pendant l’opération Dany en juillet à Los

Je ne ressentais pas l’absence de monoeil. Quand je marchais dans l’obscurité je ne trébuchais pas. Mes pieds trouvaient par eux-mêmes leur chemin. Au vacarme des tirs et des obus, mon corps ne répondait pas par la reculade et l’émotion. Ce n’était pas du courage mais simplement de l’indifférence physique au sifflement et au fracas. Même lorsqu’il y avait des impacts autour de moi ou des projections de débris, je n’y voyais pas de danger. Quand on voit où tombent les obus, on peut les éviter plus facilement.

Cependant, Dayan n’est que rarement obligé de marcher à pied la nuit. Il commande son bataillon depuis sa jeep et en général de jour.

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L’Altanela

L’Altalena en feu en face le la plage Frydman de Tel-Aviv le 20 juillet 1948

Le 20 juin 1948, alors qu’il est en train de préparer son bataillon pour le combat, Dayan est appelé en toute hâte par le commandant de la brigade Its’ak Sadeh. Un navire est arrivé devant les plages du pays transportant des armes en environ 900 immigrants. Le navire a été affrété et armé par les hommes de l’Irgun qui l’ont rebaptisé Altalena, du nom de plume de Waldimir Zeev Jabotinsky, le fondateur du mouvement d’où a jailli l’Irgun dans les années 30. Le bateau mouille à côté d’une plage déserte non loin de kfar Vitkin et les militants de l’Irgoun commencent à décharger les armes sur la plage.ben Gourion et l’Etat major de Tsahal voient dans cette affaire une rupture brutale de l’accord selon lequel, l’Irgun devait être dissoute, transmettre son équipement et s’intégrer à Tsahal. De plus, Ben Gourion considère que les agissements de cette organisation constituent une mutinerie contre la souveraineté de l’Etat. Sadeh ordonne à Dayan de partir pour la plage et de récupérer les armes.

Dayan consigne à la base les soldats issus du le’hi qui étaient eux-mêmes d’anciens dissidents, et pour plus de sécurité il les désarme. Il fonce vers la zone accompagné d’une compagnie de fidèles de l’Emeq. De petites quantités d’armes sont déjà entassées sur la plage et les hommes de l’Irgun cernent la zone. et menacent tous ceux qui tenteraient d’approcher. Dayan leur lance un ultimatum auquel répondent des tirs. Deux de ses soldats sont tués et six autres blessés. En représailles, Dayan ordonne d’arroser la plage au mortier. Les militants de l’Irgun se rendent tandis que le navire reprend la mer en direction des pages de Tel-Aviv. Là s’engage un combat au bout duquel le navire prend feu et sombre. La manière avec laquelle, trente années plus tard, Dayan racontera cet épisode montre son état de tension par rapport à ce souvenir déplorable mais aussi sa loyauté inébranlable envers Ben Gourion : « Je n’étais pas un expert des relations complexes existantes entre l’Irgun et le gouvernement israélien mais je n’avais aucun doute sur mon obligation à obéir à l’ordre. Cet épisode n’était pas représentatif de la réalité : ce n’était ni le bon combat, ni le vrai ennemi. »

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David Marcus

David Daniel « Mickey » Marcus. En 1966, Kirk Douglas a tenu le rôle du Colonel Marcus dans le film L’Ombre d’un géant (Cast a Giant Shadow)

Avant qu’il soit appelé à combattre le véritable ennemi, une autre triste affaire requiert son attention. Le 11 juin 1948, le colonel David Marcus, officier juif américain qui s’était volontairement engagé pour aider Tsahal en guerre contre les arabes, est tué accidentellement. Le colonel Marcus avait été affecté au commandement des combats contre la légion arabe dans les monts de Jérusalem. Il fut tué par une nuit sombre alors qu’il sortait de sa tente enveloppé dans un drap blanc. le garde qui n’avait pas compris ce qu’il lui disait en anglais, crut qu’il s’agissait d’un soldat arabe et lui tira dessus. Il fut décidé de l’enterrer à West Point, l’école où il avait reçu sa formation d’officier. Moshé Dayan et Yossi Harel sont désignés pour accompagner le cercueil jusqu’à sa dernière demeure.

Abraham Baum, officier plusieurs fois décoré et célèbre pour avoir commandé une opération commando de récupération de prisonniers américains en territoire allemand en 1945, dont le beau-fils du Général Patton.

Bien que cela soit son premier voyage aux USA, Dayan ne réussira pas à voir autre chose que West Point et quelques appartements de Manhattan. Dans l’un d’entre eux ill rencontre la famille de Marcus, le délégué de Ben Gourion à New York, Teddy Kollek et des personnalités juives venues se délecter du parfum d’un soldat israélien. Dayan s’empresse de rejoindre son bataillon qui s’apprête à participer à l’opération Dany contre la légion arabe. Le seul bénéfice qu’il tire de son voyage aux USA est sa rencontre avec Abraham Baum, donateur juif et officier expérimenté de l’armée américaine durant la seconde guerre mondiale. L’officier lui parle beaucoup de l’importance de la vitesse et du mouvement lors des combats. Dayan est impressionné et quelques jours plus tard, il appliquera cette règle : « il faut s’efforcer de se déplacer sans arrêt et diriger son action au coeur du combat. Le commandant dot se trouver sur la ligne de front avancée, à la tête de son unité ou non mois de là afin de ne pas apprendre ce qu’il se passe de la bouche des autres, mais de voir et de sentir les choses par lui-même ».

Sur le chemin du retour vers Israël, il accepte une mission importante mais pas exactement de nature militaire. Il apporte en Israël des valises pleines des premiers billets banques de l’Etat d’Israël qui ont été imprimés aux USA.

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L’opération Dany

Moshé Dayan présente son plan avant l’opération Dany

De retour à la base de son bataillon, Dayan retrouve ses soldats s’apprétant à partir au combat dans les prochaines heures. Pendant la trêve, Tsahal s’est sensiblement renforcée, d’importantes quantités d’armement sont arrivées en Israël, dont des chars, des canons et des avions de combat. A fin de la trêve, le 9 juillet, Tsahal est prête à prendre l’initiative d’offensives, au moins sur quelques fronts. L’attaque principale concerne le front central. Les forces de la Légion arabe sont stationnées dans les villes arabes de Lod et de Ramleh, à proximité du coeur juif, Tel-Aviv. Tsahal concentre une force de quatre brigades pour conquérir ces deux villes et une douzaine de villages sur les premières hauteurs le long de la route menant à Jérusalem afin de repousser les jordaniens plus à l’est.

La majorité des officiers supérieurs de cette armée qui est rassemblée pour la bataille sont des compagnons de Dayan du début de sa trajectoire au sein de la Haganah et certains ont été ses élèves. Le commandant de toute l’opération est Ygal Allon, parvenu à cette fonction après des succès impressionnants à la direction du Palma’h et pendant les combats en Haute-Galilée. Il a maintenant un grade équivalent à celui de général. Dayan a le grade de commandant et il est l’un des douze commandants de bataillons participant à l’opération. Il est évident qu’il commande l’une des meilleures formations de Tsahal et qu’au-dessus de ce bataillon plane l’esprit offensif et hardi de son commandant.

La brigade d’Its’hak Sadeh à laquelle apparient le bataillon de Dayan est chargée d’attaquer le flanc nord du théâtre des opérations, d’occuper l’aéroport international de Lod, de faire la jonction avec le village juif de Ben Shemen qui est assiégé depuis plusieurs mois et de conquérir plusieurs villages au sud de Lod. Au retour de Dayan des USA, ses compagnies se sont déjà déplacées en direction de deux villages sur des collines situées près des monts de Samarie. En son absence, son adjoint a planifié l’attaque. C’est un officier vétéran de la brigade juive combattante qui a accumulé de l’expérience sur le front italien au cours de la seconde guerre mondiale. Il a préparé son plan en appliquant les meilleures méthodes apprises au sein de l’armée britannique. D’abord il souhaite commencer par bombarder les objectifs au canon et au mortier, puis ensuite, s’approcher prudemment et conquérir. Les paroles d’Abraham Baum résonnent probablement aux oreilles de Dayan. Au cours de l’opération, il modifie les ordres et quand la caravane de Half-tracks est stoppée par un feu nourri provenant de l’un des villages, il ordonne à l’un de ses commandants de compagnie de monter à l’assaut directement face au feu. lui-même se place en tête de la seconde compagnie et prend d’assaut le second village. C’est le premier engagement du bataillon et le succès encourage les soldats ainsi que Dayan qui va prendre des dispositions nettement plus audacieuses.

Lors de son séjour à New-York on lui avait demandé de se présenter dès son retour à Ben Gourion qui exerçait à la fois les fonctions de premier ministre et de ministre de la défense. Mais il avait choisi de rejoindre son bataillon qui s’était déjà mis en marche. Après que celui-ci ait rempli ses premières missions et bien qu’il soit encore engagé dans des combats contre des unités de la Légion arabe qui s’accrochent aux flancs des montagnes, Dayan part pour le bureau de Ben Gourion. L’Etat major n’est pas satisfait du travail du commandant de Jérusalem et Ben Gourion propose à Dayan de prendre le commandement de la ville. C’est une proposition qu’il est bien difficile de repousser. Jérusalem est l’un des théâtres d’opération les plus importants de la guerre, la mission est particulièrement stimulante et elle représenterait un bon en avant dans la hiérarchie militaire. Mais Dayan demande que sa nomination soit effective qu’après la fin de la bataille. Il s’explique ainsi face à Ben Gourion :

« Je viens juste d’être nommé commandant de bataillon. Je n’ai pas encore combattu. Ce matin a débuté le premier engagement et en aucune façon je ne veux abandonner le bataillon et son commandement. Le commandant d’un bataillon de commandos doit se battre à la tête de ses hommes. A Jérusalem, je devrai ordonner à d’autres de se battre. Ici je le fais moi-même. »

Ben Gourion est impressione et accepte sa requête. Le sujet reviendra à l’ordre du jour à l’issue des combats.

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Au nord de Lod

La carte de l’opération Dany du 10 au 18 juillet 1948

La nuit est tombée lorsque Dayan repart pour le champ de bataille. Comme il craint de tomber dans une embuscade, il décide d’attendre l’arrivée de l’aube et il s’endort dans un champ de maïs. Dans ses mémoires on retrouve un passage poétique intéressant à mentionner :

« Alors qu’à présent j’étais devenu un homme de la cavalerie et je faisais la guerre sur un véhicule en mouvement, rien n’était plus proche et plus apaisant que la terre. la chaleur que se dégageait d’elle, le sable, la poussière, ce refuge et cet abris dans ses replis, tout m’était si familier. Toujours loyale, on pouvait compter sur elle pendant le combat et poser sa tête sur elle pour se reposer la nuit. »

Lorsqu’il rejoint son bataillon et malgré les appels à la prudence de ses hommes, il monte sur une colline dont l’autre versant est encore aux mains des soldats de la Légion arabe et sous la menace de leurs fusils et de leurs mitrailleuses. Il ordonne à l’une de ses compagnies de monter à l’assaut et de prendre la hauteur à l’ennemi. une autre compagnie s’occupe de dégager un blindé jordanien équipé d’un canon qui s’est retourné sur le côté de la route près de Beit Nabala et qui a été abandonné.

Dayan commence à réfléchir au combat suivant. De sa position sur la hauteur, il aperçoit la ville de Lod située à quelques kilomètres de là. Dayan et son bataillon sont à présent positionnés au nord-est de la grande ville arabe. Il suppose que la défense de la ville depuis cette direction est plus faible et qu’une attaque à partir de sa position surprendrait ses défenseurs. [NDT : Les arabes s’attendent à une attaque venant de l’ouest, c’est à dire de Tel-Aviv et non de l’est aux mains de la Légion arabe] 

Alors qu’il est en train de se creuser la tête, il reçoit une demande du commandant de la brigade Yphta’h qui a, depuis le début des opérations, attaquer à partir du sud, et dont les hommes se trouvent à présent sur flanc sud-est de la ville. Le commandant de la brigade demande à Dayan s’il peut appuyer ses hommes pendant l’assaut de la ville. Ce dernier lui promet d’arriver rapidement sur la zone.

Des soldats de la brigade Yphta’h devant un blindé jordanien capturé le 15 juillet 1948 pendant l’opération Dany

Dayan ordonne le rassemblement de son bataillon. Il laisse à une compagnie le soin de terminer le combat dans les hauteurs et il positionne le bataillon en convoi le long de la route avec à sa tête le blindé jordanien équipé de son canon déboité suite à l’attaque qu’il a subie. Le moteur a été rapidement réparé, la radio a été réglée sur le canal du bataillon et un officier d’un bataillon d’artillerie a envoyé l’un de ses soldats pour servir le canon. Le blindé a eu droit à une courte cérémonie d’accueil et a été baptisé la « terrible panthère ». La présence du blindé équipé de son canon a insufflé un sentiment de sécurité dans le coeur des combattants. Derrière la terrible panthère s’avance une section de reconnaissance avec ses jeeps, suivies des compagnies d’automitrailleuses. Le convoi se termine par la compagnie de jeeps équipées de mitrailleuses. Dayan est monté dans la seconde automitrailleuse de la compagnie de tête. Le bataillon a subi des pertes au cours des combats dans les villages et privé de la compagnie restée pour terminer les combats au nord de la ville, il se réduit à seulement 200 soldats.

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Une légende est née

Le 82ème bataillon de chars de Tsahal après la prise de l’aéroport de Lod

C’est ainsi que débute l’un des combats miraculeux de la guerre d’indépendance d’Israël. Malgré les critiques entendues sur le risque excessif pris par Dayan et ses hommes, des générations de soldats de Tsahal ont appris cette histoire héroïque. Peu de temps après la fin des combats, Dayan en publiera les détails dans « Ma’arakhot », la revue mensuelle des officiers de Tsahal. Le secret du succès résidait essentiellement dans la puissance de feu utilisée et dans la vitesse de déplacement. A propos du court briefing à ses hommes avant leur départ pour le combat, Dayan dira :

« Arrivés au contact de l’ennemi, il faut se déployer sur les côtés, contourner et prendre de flanc les positions ennemies malgré les tirs. De cette façon, non seulement on utilise durant le combat toute notre puissance de feu, mais on diminue aussi le risque d’être touché. le mouvement doit être réalisé rapidement. C’est la vélocité qui stupéfie l’ennemi. »

En 47 minutes, le bataillon de Dayan pénètre et brise les défenses de Lod, traverse la ville, arrive jusqu’aux abords de Ramleh au sud de Lod, puis revient en essuyant un feu nourri provenant de deux bâtiments de police fortifiés et occupés par des soldats de la Légion arabe. A chaque fois que le convoi stoppe pour une raison quelconque, Dayan descend de son véhicule, continue à pied pour comprendre la cause de l’arrêt et presse les unités de tête de reprendre l’avancée. « ma voix était enrouée et on ne m’entendait plus » racontera-t-il. Neuf de ses soldats sont tués et 17 autres blessés pendant l’attaque. Tous les véhicules sont touchés et certains, dont l’automitrailleuse de Dayan, doivent être remorquées ou poussées tout le long du chemin.. les automitrailleuses sont atteintes par des grenades envoyées depuis les maisons qui bordent la route. La puissance de la réplique des jeeps et des automitrailleuses provoque la stupéfaction et la panique dans la ville. Quand Dayan et ses soldats entament le chemin du retour vers le nord après l’enfer, ils aperçoivent les combattants du Palma’h qui pénètrent rapidement dans la ville afin de s’en rendre maître.

Il ne fait aucun doute que le raid osé de Dayan et de ses hommes sur Lod fragilisé la défense de la ville et a facilité le travail des unités régulières lors de la prise de la ville. Mais le prix est lourd. Dayan se souvient de l’image de son bataillon lors du retour à sa base : « Les récits et les descriptions des derniers combats semblaient enthousiasmants mais la vision du bataillon ou du moins de ce qu’il en restait l’était beaucoup moins. » Comme tous les commandants de bataillons de Tsahal du temps de la guerre, Dayan ne possède aucune expérience ou une formation avancée de l’organisation d’unités importantes sur le champ de bataille. Il agit selon ce que lui dicte son instinct et son tempérament. On peut supposer que s’il avait possédé une expérience militaire professionnelle, il ne se serait pas mis en danger et il n’aurait pas foncé au coeur du dispositif ennemi sans appui et sans préparation rigoureuse. Il n’y avait aucune sophistication professionnelle dans ce qu’il a fait et il est passé à deux doigts de la catastrophe. En fin de compte, seule la victoire compte. L’instinct et l’audace de Dayan lui apportent la réussite et la gloire.

Ruth revient de Rome par avis et à sa grande surprise elle atterrit sur l’aéroport internationale de Lod qui vient d’être conquis et remis en service immédiatement. Elle ignore que pendant ce temps son mari se trouve au coeur de l’enfer. Elle ne le retrouvera que le soir quand il revient à la maison pour un petit moment afin de se doucher et de se profiter d’un repos de courte durée. C’est seulement alors que Ruth comprend quels dangers son mari a traversé pendant la journée.

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Le Neguev

Mouvements des 17 et 18 juillet 1948 de l’opération « Mort à l’envahisseur »

Dayan fait tout ce qui est en son pouvoir pour remettre en état son bataillon et il se réjouit que la majorité des blessés reviennent dans leur compagnie malgré leurs blessures et leurs pansements. Les combats durent dix jours, du 9 au 19 juillet. Quand une nouvelle trêve se profile que pourrait imposer le Conseil de sécurité de l’ONU, il devient urgent de briser le siège imposé par l’armée égyptienne sur le Néguev. Dayan reçoit l’ordre de placer son bataillon sous le commandement de la brigade Guivati qui opère dans le sud de la plaine cotière. Lors du dernier jour des combats il est décidé de conquérir plusieurs localités. La plus éloignée est Karatiya sur la route conduisant de la ville de Ma’gdal (Ashkelon) au bord de la Méditerranée jusqu’à Hébron. L’armée égyptienne est positionnée le long de cet axe et isole le sud du reste des forces de Tsahal. Karatiya étant trop éloignée, les unités régulières ne peuvent pas rallier la zone à temps. La mission est confiée au bataillon motorisé de Dayan.

Aba Kovner en 1948, avec les défenseurs de Yad Mordékhaï

Pour la première fois, Dayan doit opérer en terrain inconnu sous le commandement d’une brigade régulière dont les modes opératoires sont différents et étrangers à son état d’esprit. Il racontera : « Le Néguev m’était étranger. Un terrain à découvert, sans verger, plat et gris, poussiéreux, des villages misérables fait de briques de boue et sans pierre, sans verdure et où la joie de vivre semblait absente. » Il est très critique à l’égard de la conduite des commandants de bataillons qui dirigent le combat depuis l’arrière par radio. Il propose d’attaquer de jour mais il se confronte à l’opposition des autres bataillons habitués à attaquer la nuit. Il émet des réserves sur le style passionné des proclamations de la brigade composés par Aba Kovner, une sorte de commissaire politique de la brigade Guivati. Kovner comptait parmi les dirigeants clandestins du ghetto de Kovno, puis il avait combattu dans les rangs des partisans russes durant la seconde guerre mondiale. « L’ordre du jour, Morts aux envahisseurs, sonnait aux oreilles comme une proclamation du KKL. Je n’avais pas besoin d’idéologie pour foncer sur le Néguev. Le concept d’envahisseur convenait dans le contexte de la guerre contre les nazis mais semblait grandiloquent dans le cadre de notre guerre contre les arabes. »

Eléments de la brigade Guivati dans le Néguev en 1948

Cette fois-ci la difficulté réside dans le fait que l’atteinte de l’objectif principal suppose une percée à travers plusieurs positions fortifiées. Dayan décide d’éviter autant que possible les confrontations superflues et se fraye un chemin de contournements, sous le feu des mitrailleuses, des mortiers et des canons. Après avoir traversé les lignes, Dayan se retrouve déjà derrière les égyptiens alors que l’assaut sur l’objectif n’a pas encore commencé et qu’une partie de ses équipements sont touchés et ont du mal à traverser une rivière aux pentes escarpées. Dayan craint que ses hommes soient épuisés après huit jours de combats sans interruption. Il ordonne à ses soldats de creuser un passage dans la terre molle des pentes de la rivière. En attendant il s’offre un petit repos sur le côté. Lorsque l’ouvrage est achevé, on le réveille et il ordonne à ce qui reste de son bataillon de monter à l’assaut du village par l’arrière. Il est déjà 4h et la lumière de l’aube s’esquisse à l’orient. L’unité de déploie, la « terrible panthère » bombarde les positions et oui les armements arrivés sur la ligne d’attaque ouvrent le feu. Le village est pris en quelques minutes. Le matin venu, des unités régulières prennent la relève du bataillon de commandos qui peut retourner à sa base pour se rétablir. C’est le dernier engagement au cour duquel Dayan participe directement en tant que combattant de la première ligne. Il aspirera toujours à atteindre les lignes avancées, mais à partir de maintenant son travail sera plus complexe et il devra envoyer à l’avant d’autres personnes. Ben Gourion ne veut pas attendre davantage. La trêve entre en vigueur le 23 juillet 1948 et il nomme Dayan au poste de commandement de Jérusalem.

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Commandant de Jérusalem

David Shaltiel, Commandant de Jérusalm et commandant de la brigade Etzioni

Les résultats militaires de Dayan à Jérusalem ne furent pas spectaculaires. Le secret de son aptitude au commandement militaire résidait dans son courage personnel et son rapport direct avec les combattants sous ses ordres. A présent il intervient et commande par l’intermédiaires de ses officiers. C’est dans la gestion des relations avec l’ennemi qu’il va se montrer particulièrement talentueux. Pendant cette période, il va se distinguer vraiment dans le domaine diplomatique.

Quand Dayan arrive à Jérusalem, la seconde trêve imposée par le Conseil de sécurité aux deux parties a déjà commencé. Par ailleurs à Jérusalem, deux accords ont déjà été signés entre le précédent commandant de la ville, le général David Shaltiel et les commandants jordaniens. L’un des accord concerne la situation de l’enclave du Mont Scopus où se situent l’université hébraïque et l’hôpital Hadassah, isolés de la partie de Jérusalem contrôlée par les juifs. Le 7 juillet il est conclu que toute la zone du Mont Scopus, y compris la partie sous domination jordanienne deviendra une zone démilitarisée sous la responsabilité de l’ONU et sous la surveillance d’observateurs.

Le 21 juillet, deux jours avant l’arrivée de Dayan dans la ville, un nouvel accord est conclu portant la signature du commandant arabe de Jérusalem, le colonel Abdallah El Tal. Cet accord fixe un cessez le feu général et le maintien du status-quo dans le no-man’s-land entre les lignes.

La porte Mandelbaum, principal passage entre Jérusalem est et Jérusalem Ouest en 1948

En dehors de quelques échanges de tirs et autres petites frictions intervenant quotidiennement le long des lignes, il n’y aura pendant la présence Moshé Dayan à Jérusalem en tant que commandant que deux véritables combats. Au début du mois d’août, des combattants irréguliers palestiniens violent l’accord de démilitarisation à propos de l’ancien palais du représentant britannique et transformé depuis en résidence pour l’ONU. En représailles, il est décidé d’occuper des positions sur la colline du Mauvais conseil où ce situe ce palais. La mission est confiée à l’un des bataillons de la brigade de Dayan. Il lui est interdit de s’en prendre au personnel de l’ONU ou de pénétrer sur le terrain de la résidence. A cause de cette restriction, les jordaniens se maintiennent sur le sommet de la colline et mettent en échec l’opération. Onze soldats sont tués, cinq sont fait prisonniers par les jordaniens et vingt sont blessés. Un prix très lourd pour un bilan nul. Des accusations réciproques sont échangées entre les officiers du bataillon et le commandant de la brigade. Dayan considère que l’échec s’explique par l’aptitude au combat des hommes du bataillon. De son côté le commandant du bataillon accuse Dayan d’avoir été absent du champ de bataille et qu’aux heures les plus critiques ils été impossible à localiser.

Le palais du représentant britannique puis de l’ONU – Armon HaNatsiv – La colline du mauvais conseil – Années 30

Le second combat intervient à l’initiative de Tsahal. En octobre, en même temps que l’opération Yoav dans le sud du pays contre l’armée égyptienne et en coordination avec une opération de débordement menée par la brigade Harel venant du sud-ouest et en direction de Bethléem, la brigade de Dayan obtient le feu vert pour conquérir les hauteurs de Beit Djala qui dominent Bethléem au nord-ouest. Dayan pilote l’opération de près. La première partie se déroule bien, la brigade se rend maitre des hauteurs de Waladja au nord de la voie ferrée reliant Tel-Aviv à Jérusalem. Mais l’offensive est freinée parce que la montée vers l’objectif suivant devient abrupte et l’unité de tête se heurte à une opposition. L’aube arrivant, le bataillon de tête reçoit l’ordre de revenir au nord de la voie ferrée. L’objectif principal n’a pas été atteint et l’opération est considérée comme un échec.

Ligne de démarcation en 1951. La tour de David et la vieille ville dans le fond. Sur le panneau : Danger ! Territoire ennemi devant toi.

La brigade de Jérusalem a été éprouvée au cours de durs combats depuis le début de la guerre en décembre 1947 et a enregistré de nombreuses pertes, morts et blessés. Lorsque Dayan en reçoit le commandement, la majorité de ses soldats sont des nouveaux immigrants, sans entrainement convenable et une partie d’entre eux ne parlent même pas l’hébreu. La brigade a essuyé de nombreux échecs et à son arrivée, Dayan mesure le piètre moral des commandants. Comme à son habitude, il insuffle à ses soldats un sentiment d’assurance, non seulement par ses paroles mais aussi par son exemple personnel. Entre deux accrochages la brigade est répartie le long d’une ligne qui partage la ville en deux. Les positions se situent dans des zones habitées ou dans des quartiers en partie détruits lors des combats. De nombreuses rues et places sont menacées par le feu ennemi et il faut emprunter des chemins de traverse compliqués pour atteindre le front. Dayan n’hésite pas à ramper dans des tunnels et à grimper sur des échelles afin de se montrer parmi les soldats des postes les plus avancés et pour se faire sa propre opinion de la situation.

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Folke Bernadotte

Folke Bernadotte

Dayan exécuta une action de manière décisive. Le 17 septembre 1948, le comte suédois Folke Bernadotte est assassiné. Il était le médiateur de l’ONU pour le conflit judéo-arabe. L’assassinat a été exécuté par un groupe d’activistes du Lé’hi. Il est alors décidé de mettre fin pour de bon à la situation d’indépendance.dont l’Irgun et le Lé’hi bénéficient à Jérusalem sous le prétexte que la ville n’a pas été déclarée comme faisant partie du territoire sous la souveraineté de l’Etat d’Israël. L’irgoun rend ses armes sans aucune résistance. Les soldats de Dayan encerclent efficacement les militants du Lé’hi et ils se rendent. Le contrôle de Dayan sur toutes les forces armées juives est maintenant total.

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La famille réunie à Jérusalem

Au premier plan l’hôtel King David et le YMCA. Au second plan à gauche le quartier de Talbyeh, au centre le quartier de Ré’haviah. Vue aérienne début années 1930.

Une fois nommé commandant de Jérusalem, Dayan décide d’y faire venir sa famille et de confier l’exploitation de le Nahalal à des ouvriers salariés. Ruth et ses trois enfants emménagent dans une splendide maison à l’entrée de Talbyeh, un quartier où résidait l’élite arabe de Jérusalem avant la guerre. La maison appartenait à Aboukrios Bey, un avocat arabe qui avait quitté la ville durant les combats. Elle avait été confisquée et était passée sous l’autorité du commandant de la ville et de plusieurs ministères du gouvernement. C’était l’une des maisons bâties dans les années 1930 dans le style Bauhaus et elle était considérée par beaucoup comme un palais. Le salon de la famille Dayan était en forme d’hémicycle dont les larges fenêtres permettaient d’observer le monastère Terra Santa situé en face. Il devient rapidement l’un des lieux recherchés de la société Hiérosolymite. On y rencontre des diplomates étrangers, des consuls représentants différents pays dans la ville saine et des officiers de l’ONU, ainsi que des journalistes étrangers et israéliens, des membres du gouvernement israélien et bien entendu l’élite juive de Jérusalem. Dayan se fait une place au centre de la vie politique et sociale d’Israël.

Le mode de vie de la famille Dayan est profondément modifié. Il va se passer un long moment avant que les enfants s’acclimatent à la vie dans une ville où il est dangereux de franchir ses limites. On leur interdit de roder dans les champs comme ils le voudraient mais ils sont polissons et ils partent souvent à l’aventure. le petit Assaf, encore à la maternelle, disparait un jour et on le retrouve errant dans le no-man’s-land à quelques mètres des lignes jordaniennes. Réouven Shiloa’h qui avait enrôlé Dayanpour mettre en place un réseau d’espionnage en 1942, s’agace que Ehoud ait ouvert le pionnier de son frère et que les colombes se soient envolées dans toutes les directions. Madame Kaplan, la femme du ministre des finances qui habite à l’étage supérieur de ce palais, se plaint à la police à cause d’un crâne humain qu’elle a trouvé dans son jardin. Il s’avère que les deux audacieux frères ont fondé un « groupe d’indiens », qu’ils ont trouvé un crâne humain dans le cimetière musulman proche de la frontière!re et qu’ils l’ont enterré dans le jardin de la femme du ministre.afin qu’il leur serve durant leurs cérémonies.

Ruth se souvient qu’à cette époque Moshé préférait rester à la maison en portant une grande attention à sa famille.Assez souvent il prenait avec lui l’un de ses enfants pour patrouiller sur la ligne de front où dans d’autres lieux de la vaille. Dayan admet dans ses mémoires qu’il évolue sensiblement : « J’étais souvent en réunions à discuter sur des formulations, en déjeuners, en cocktails. Je prenais du poids et mon nom apparaissait souvent dans des articles de journaux. En quelques mois ce n’est pas uniquement mon mode de vie qui se transforma mais aussi mon mode de pensée. »

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