Représailles

Tibériade en 1940
Tibériade en 1940

Wingate n’est pas opposé aux actions de représailles, en contradiction avec la politique de la retenue de la Haganah qui ne veut pas d’opérations visant des arabes innocents. Le 2 octobre 1938 des palestiniens massacrent deux familles à Tibériade, tuant 18 juifs dont 11 enfants. Wingate et ses hommes réagissent en attaquant un village au pied du mont Thabor qui abrite des combattants palestiniens sans lien direct avec les meurtres de Tibériade. Le groupe de Wingate mitraillent dans tous les sens et sans discernement tuant 15 villageois. 15 années plus tard, alors qu’il vient d’être nommé au poste de Chef d’État Major, Dayan fera de cette méthode un outil central de sa lutte contre les infiltrations venant de l’extérieur.

Moshé Dayan en 1939 à la fin de la révolte arabe
Moshé Dayan (à droite) en 1939 à la fin de la révolte arabe

Deux mois après l’attaque du Mont Thabor, l’État Major de la Haganah mobilise Dayan et ses hommes afin d’organiser ses propres actions  de représailles. Déguisés avec des uniformes de l’armée britannique, Dayan et son équipe pénètrent dans un village qui soutient des combattants palestiniens. Ils font sauter la maison du mukhtar.

Au moins à une reprise, Dayan agit de sa propre initiative. Il pénètre un jour dans un village arabe et descend l’homme qui selon ses informations a tué 2à ouvriers juifs de la région. Dayan n’agit pas secrètement : son supérieur direct a été informé son plan et a fermé les yeux, mais l’opération est menée sans autorisation et en contradiction avec la politique de la Haganah. Plus tard Dayan sera confronté à de jeunes officiers à la détente facile qui agiront parfois poussés par un désir de vengeance, et sans son accord.

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Le livre blanc

Manifestation à Jérusalem en 1939 contre le livre blanc
Manifestation à Jérusalem en 1939 contre le livre blanc

Suite aux vastes opérations de répression menées par les anglais et à cause de graves dissensions qui se font jour dans le camp palestinien, la révolte arabe s’éteint progressivement en 1939. Et c’est alors qu’éclate un grave différent entre les autorités britanniques d’une part, et la population juive du pays et son leadership d’autre part. Au moment où les nuages assombrissent le ciel européen et qu’à l’horizon s’entrevoit la possibilité qu’une guerre éclate, le gouvernement britannique décide de se concilier le monde arabe en muselant le projet sioniste. Le 17 mai 1939 est publié à Londres un livre blanc qui comporte des restrictions de grande ampleur en matière d’immigration juive et d’acquisition de terrains en Israël par les juifs. Le leadership sioniste interprète ce document comme une violente remise en cause des assurances accordées par la Grande-Bretagne aux juifs lors de la première guerre mondiale et dans le pays, des manifestations de juifs en colère se multiplient.

Land classification and boundaries of land transfer regions as prescribed in 1940.
Land classification and boundaries of land transfer regions as prescribed in 1940.
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Instructeur

Le Général Yaacov Dori en 1948
Le Général Yaacov Dori en 1948

Lorsque les opérations militaires se font plus rares, Dayan qui est à présent intégré dans le dispositif permanent de la Haganah, se consacre à l’instruction. il est de plus en plus affecté à diverses sessions de formation en tant qu’instructeur militaire. Il est non seulement reconnu comme un combattant courageux mais également comme un excellent formateur. Il a développé une doctrine de combat et un programme d’entrainements originaux, comprenant des exercices sur le terrain, de jour comme de nuit, le développement du sens de l’orientation et de l’esprit d’initiative de ses élèves. En tant que commandant de la formation des officiers de pelotons, il a rédigé un manuel d’instructions pour les entrainements qu’il présente à l’État Major de la Haganah. Yaacov Dori qui dirige les formations de la Haganah et qui plus tard sera Chef d’État Major de Tsahal pendant la guerre d’indépendance, se montre très impressionné. Le manuel de Dayan n’est pas retenu intégralement mais bon nombre de ses idées qui s’y trouvent sont incluses dans la doctrine militaire des futurs jeunes commandants. Dayan est alors considéré comme l’un des instructeurs qui comptent et sa trajectoire vers le haut commandement semble tracée. Mais des évènements tragiques vont entraver son avancement.

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Cours pour officiers de la Haganah

La base d'entrainement de la Haganah à Djou'ara
La base d’entrainement de la Haganah à Djou’ara

Au cours de l’été 1939, la Haganah organise un cours dont le thème est très clair : cours pour officier commandant de section. La prise de conscience que la Haganah prépare l’armée du futur état juif se répand au sein de l’opinion publique. Le commandant du cours est Raphaël Lev, ancien officier de l’armée austro-hongroise et activiste lors de la révolte du Schutzbund à Vienne. Son adjoint est Moshé Carmel, l’un des officiers supérieurs de la Haganah et plus tard le commandant du front nord pendant la guerre de 1948, puis ministre dans plusieurs gouvernements israéliens des années 50 et 60. Parmi les instructeurs on retrouve Moshé Dayan et Ygal Allon. Par crainte d’une interdiction de la part des anglais, le cours ne se déroule à la base principale de la Haganah Djou’ara car cette base est trop bien connue des anglais du temps de leur collaboration avec la Haganah. Le cours a lieu dans le village de Nida’h en Haute Galilée. Il débute au mois d’Août 1939, camouflé en cours pour instructeurs de l’association sportive HaPoël.

David Ben Gourion et 'haïm Weizmann consternés à l'annonce du livre blanc de 1939
David Ben Gourion et ‘Haïm Weizmann consternés à l’annonce du livre blanc de 1939

C’est en plein milieu du cours qu’éclate en Europe la seconde guerre mondiale. Des combats se déroulent également en Cyrénaïque à la frontière égyptienne et le Proche-Orient devient un important théâtre de la guerre. David Ben Gourion, le président de l’Agence Juive déclare que le mouvement sioniste continuera à lutter contre la politique du livre blanc comme s’il n »y avait pas la guerre mais aidera la Grande Bretagne dans sa guerre contre l’Allemagne comme si le livre blanc n’existait pas. Mais à Londres on considère à présent que la politique de conciliation avec le monde arabe est plus nécessaire que jamais. Son administration en Palestine commence à prendre des mesures pour entraver l’action de la Haganah.

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L’arrestation

Cache d'armes découverte par les anglais dans le kibboutz Doroth (1945-47)
Cache d’armes découverte par les anglais dans le kibboutz Doroth (1945-47)

malgré le secret observé par les commandants, les britanniques sont informés de l’existence de ce cours. le 4 octobre, deux officiers anglais font une visite surprise dans le camp, entament une fouille rapide et découvrent de l’armement illégal. Ils ne confisquent rien et se contentent de prendre des notes dans leurs carnets, puis ils disparaissent. Il devient évident que les autorités s’apprêtent d’ici quelques heures à prendre des mesures beaucoup plus dures. Le haut commandement de la Haganah décide de déplacer la formation vers un autre site. Ygal Allon garde avec lui  les « Notrim » qui ont participé au cours mais qui possèdent un armement légal, tandis qu’un groupe de 47 hommes, dont Dayan, commandé par Moshé Camel, quittent la base. Dayan, qui connait parfaitement les chemins de la région joue le rôle de guide. Le dépit du groupe est retardé et l’itinéraire choisi est compliqué. La nuit tombe alors qu’ils se trouvent encore au coeur d’une zone de villages arabes. Tout d’un coup surgissent des voitures des gardes frontières. Officiellement les gardes frontières étaient placés sous l’autorité du gouvernement transjordanien mais au service des autorités britanniques, afin de surveiller et de patrouiller le long de la frontière. La majorité de ses membres sont des soldats et des officiers arabes. Le groupe de la Haganah se réfugie dans une crevasse mais c’est un fellah du coin qui attire l’attention des gardes frontières sur eux. Le commandant de la patrouille appelle à l’aide, le groupe est arrêté et tous sont envoyés pour interrogatoire à la prison de Saint-Jean-d’Acre.

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Saint Jean d’Acre

Cour de la prison de Saint-jean d'Acre en 1947
Cour de la prison de Saint-jean d’Acre en 1947

La prison de Saint-Jean d’Acre était le principal lieu de détention utilisé par les autorités dans laquelle étaient surtout enfermés des criminels, et parmi eux de nombreux arabes. A côté des proxénètes, des violeurs, des voleurs, des meurtriers, on y trouvait également des combattants de la guérilla palestinienne et des détenus de l’Irgun, ainsi que quelques membres de la Haganah, c’es derniers faisant les frais de la nouvelle politique anglaise depuis l’instauration du livre blanc. La construction datait du XIIe siècle, au départ une forteresse du royaume chrétien. Des murs épais entouraient des cellules humides et moisies ; au centre une cour pour marcher ; sur l’un des cotés de la prison, il y avait une pièce équipée d’un gibet ou l’on exécutait de temps en temps des détenus condamnés à mort. C’était un lieu angoissant et déprimant en opposition totale avec la fraîcheur du vent qui soufflait de la Méditerranée que l’on pouvait contempler depuis le toit de la prison et qui s’étendait à perte de vue au delà des fossés de la forteresse.

Moshé Dayan et les autres détenus, habitués à collaborer avec les autorités britanniques, sont convaincus que la direction du Yshouv va intervenir rapidement pour les faire libérer. Ils vont être bien vite déçus. Ils vont être jugés pour l’exemple. La Haganah recrute les meilleurs avocats et fait pression sur les autorités anglaises à Jérusalem et à Londres. Elle ne cherche pas à nier les évidences, elle se concentre sur les motivations et non les faits. Ainsi la thèse de la défense est que les jeunes arrêtés avec leurs armes s’entrainaient pour se préparer à la lutte contre les nazis, l’ennemi commun. Les juges, tous officiers, ne sont pas convaincus.

En vertu des règles de l’état d’urgence instaurées par les britanniques lors de la grande révolte arabe, la détention d’armes illégales est passible de la peine de mort. En conséquence les juges estime que la peine de 10 ans à laquelle ils condamnent les accusés n’est pas exagérée. Les détenus, leurs familles et la communauté juive sont frappés de stupeur. Il est évident que cette sentence particulièrement dure découle de la volonté des britanniques d’entraver le renforcement de la Haganah et de démontrer au monde arabe qu’il n’y a pas deux poids deux mesures. Ruth, la jeune épouse de Dayan exprime dans son journal intime la mesure de son désarroi :

« 10 ans, c’est à dire jusqu’en 1949. Toutes les attentes, les espoirs, les beaux rêves, tout est détruit. Impossible de saisir la signification tout cela. Personne n’ouvre la bouche. Mais une haine profonde contre les anglais s’enracine dans nos coeurs. Ceux que nous avons aidés, dont nous voulions être proches. Que Moshé n’a-t-il pas fait pour leur être agréable et voici qu’ils le trahisse… Quels mots pourraient  traduire notre peine et notre désespoir ?

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En prison

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Moshé Dayan avec quelques autres détenus de la Haganah

Dayan, pessimiste par nature, ne se fait pas d’illusions. Avant même de prendre connaissance de la sentence, il s’est préparé au pire. La veille du jugement, le 29 octobre, dans une lettre qu’il lui écrit, il demande à Ruth qu’elle lui envoie un dictionnaire anglais-hébreu., une grammaire anglaise et des livres de lecture en anglais. Dans la suite de la lettre, il écrit : « Ce serait bien que parmi ces livres, certains soient écrits avec des grands caractères car à l’approche du soir, il fait déjà sombre dans la cellule, en particulier en hiver. » Il accueille la sentence avec beaucoup de sang-froid.

Il n’a aucune influence sur son destin car tout dépend de ce qui se passe à l’extérieur. Il consacre l’essentiel de son énergie à la lutte quotidienne pour améliorer ses conditions de détention. Les prisonniers élisent un comité chargé de représenter leurs intérêts. Moshé Carmel est à la tête de ce comité et Moshé Dayan est le délégué aux relations avec le commandement britannique. Dans ses mémoires, Dayan se rappellera :

« La famille considérait l’emprisonnement comme une catastrophe terrible et prenait le deuil. Je tentais de me concentrer sur l’amélioration de nos conditions de vie en prison et dans me efforts pour recevoir des lives d’étude et profiter de mon temps libre. Saint-Jean d’Acre n’était pas une maison de repos, mais ce n’était pas non plus un lieu où l’on croupissait, où l’on perdait son humanité. À mes yeux, il s’agissait d’une affaire temporaire, ni agréable pour celui qui etait à l’intérieur et ni facile pour celui qui etait à l’extérieur, mais sans que ce soit une raison pour se perdre dans la mélancolie. La prison faisait partie du combat.

Le leadership sioniste fait pression aussi bien à Londres qu’à jerusalem, mais sans enthousiasme. Car alors, l’ordre des priorités fixé par Ben Gourion placé en premier le combat les limitations imposées à la poursuite de l’entreprise sioniste dans le pays et la conclusion d’un accord sur l’enrôlement de juifs dans l’armée britannique au sein d’unités juives spéciales. Ben Gourion craint qu’assumer officiellement que la Haganah est dirigée par le mouvement sioniste  et que les prisonniers ont agi en son nom, nuisent à des objectifs plus importants, et finissent pas saboter la relance de la collaboration avec les autorités. Dans son journal intime il écrira : « L’emprisonnement des 43 jeunes hommes risquent de compromettre la réalisation du programme d’enrôlement de juifs dans l’armée britannique. » A Shmuel Dayan qui vient pour le convaincre d’aider les prisonniers, il dit avec une absence typique de sensibilité : « En quoi est-ce un drame si les jeunes restent emprisonnés quelques années ? » Avec le recul, on peut concéder que Ben Gourion avait raison. L’amélioration des relations avec les anglais entrainera la libération des prisonniers, mais Shmuel est offensé par les propos de Ben Gourion et lui en gardera rancune pendant de longues années.

En conséquence, les efforts de la directions sioniste sont modérément efficaces. Le haut représentant anglais réduit la peine à 5 ans. Au mois de février 1940, les prisonniers de la Haganah sont transférés dans une prison « agricole ». Les conditions s’améliorent de manière très sensible. Ils sont hébergés dans des baraques et sont affectés à des travaux dans la station expérimentale agricole dépendant de l’administration. Le combat pour leur libération se poursuit mais la lumière ne semble pas encore visible au bout du tunnel. Dayan se souviendra plus tard : « les souvenirs du passé leur importaient bien plus que la préparation du futur. La date de la libération devenait une affaire de foi, détachée de toute logique politique objective. »

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Lettres de prisonniers

Il est probable que tous les prisonniers ont écrit à leurs proches restés à l’extérieur. les lettres de deux d’entre eux ont été publiées. Celles de Moshé Carmel furent publiées juste après sa libération dans le recueil « entre les murs » qui fut un best-seller. Des générations de soldats juifs ont été imprégnés par ce livre. A la lecture de des lettres de Carmel, qui était déjà un leader connu, on découvre qu’elles ont été rédigées pour être publiées. Elles s’adressent davantage au Yshouv en lutte pour la création d’un État des juifs, qu’à ses proches. Moshé Carmel s’attache moins à décrire sa expérience carcérale qu’à donner une expression à l’espoir d’un peuple, à l’idéologie sioniste, à la réalité collectiviste du projet. Il utilise un langue poétique, riche, comportant de nombreuses maximes, métaphores et écrits philosophiques.

Yaël et Moshé, fin des années 40.
Yaël et Moshé, fin des années 40.
Les lettre écrites par Dayan à Ruth furent publiées 60 années après leur rédaction. Dayan, jusqu’alors officier subalterne, ne se voit pas autrement que comme le leader du groupe de prisonniers. Il s’imagine déjà un avenir bien plus billant que celui d’un paysan habitant une petite maison de Nahalal. Il écrit des lettres intimes dans lesquelles il décrit son activité en prison et surtout sa nostalgie pour Ruth et pour la petite Yaël, ainsi que son inquiétude pour leur bien-être. Il supplie tout le temps Ruth : « Ecris-moi à propos de Yaël sur son intelligence, ses progrès et donne lui de ma part un baiser sur le front. » De toutes les difficultés auxquelles il doit faire face en prison, la seule qui l’accable est « le problème de notre séparation, l’anéantissement de notre vie de famille, qui te laisse toi et Yaël seuls et isolées. » L’éloignement et l’isolement semblent renforcer son amour pour Ruth et encore plus pour Yaël. Dans un moment d’émotion particulier, il écrit : « Presque chaque nuit, je me réveille et je me souviens de vous… Je n’arrive à te transmettre qu’un millième de l’amour que j’éprouve pour vous au cours de ces nuits. Peux-être ressens-tu ce que vous représentez pour moi ? » Moshé Dayan ne se permettra que rarement d’exprimer un tel sentimentalisme. Il en est de même de l’expérience très difficile que sont les visites de famille et qui fissure son apparente insensibilité. Dans ses mémoires, il racontera l’une de ces rencontres :

La rencontre avec la famille se déroulait sans aucune intimité. Nous étions séparés des visiteurs qui se tenaient sur un remblai en béton, par un large réseau de barbelés. La discussion avait lieu en criant. Maman et Ruth étaient venues avec Yaël  qui portait un habit de fête et qui se sauva pour ramper en direction des barbelés. Mon coeur se mit à bouillonner. Ruth soulevait Yaël le plus haut possible. Nous criions : « Comment vas-tu ? » à plusieurs reprises. Je tentais de la questionner sur la situation de la ferme, de l’ens l’ensemencement… Que pouvions-nous espérer dire au cours de ces minutes émouvantes entrecoupées par les « Yala Yala » du gardien ?

Tout au long de sa vie, Dayan aura été perçu par le public comme un homme dur et à part. La fibre sentimentale qui apparait comme une constante dans ses lettres de prison reflète un côté de sa personnalité que bien peu de gens auront eu l’occasion de discerner.

La seconde question qui tourmente Dayan et qu’il exprime régulièrement dans ses lettres, est le sentiment amer que ses camarades et lui sont en prison au moment où le monde entier se mobilise avec force contre les nazis. Dans ses mémoires, il racontera qu’il trouve à s’occuper en sculptant des cadres en bois et en enfilant des noyaux de fruits pour faire de bracelets. « Ce n’était pas exactement des occupations appropriées pour un homme jeune, un militaire, au moment où l’Europe était envahie, les juifs persécutés et le front se rapprochant d’Israël. » Dayan a tété de l’idéologie sioniste avec le lait de sa mère, il est si imprégné de sionisme que toute expression sioniste lui semble superflue. Il est difficile de trouver dans ses lettres de prisonnier des propos élevés sur les missions de sa génération, sir les buts ultimes de la lutte, sur le devoir de réalisations ou sur la loyauté. Dayan écrit les conditions difficiles qui règnent dans la prison mais sans jamais se plaindre, même lorsqu’il est enfermé pendant trois jours dans une cellule étroite, humide et moisie. C’est Ruth qui en parlera :

Certains camarades avaient besoin d’une période prolongée de convalescence après un isolement aussi éprouvant, alors que Moshé ne demanda qu’une bougie et une bible grâce auxquels  il réussit à tenir bon. 

Ruth tente de profiter des relations de ses parents avec Londres pour obtenir une grâce pour son mari et elle essaie de partir pour Londres afin d’y rencontrer la reine-mère. Mais Moshé lui interdit à musiques reprises d’entreprendre une telle démarche dont les resultats ne seraient profitables pour tout le groupe. Il lui interdit même de demander un aménagement de son travail pour lui permettre de les rencontrer plus souvent, elle et Yaël. Néanmoins le directeur de la ferme expérimentale dans laquelle travaille Dayan organise par surprise une rencontre entre Moshé et Ruth dans l’une des plantations. Dayan la blâme : « Ne refais jamais cela. Comment pourrais-je réapparaître devant les autres camarades ? Je ne veux pas faire cela aux 42 autres. »

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Libéré mais pas libre

Au début de l’année 1941, la situation de l’armée britannique au Moyen-Orient s’aggrave. Le general Erwin Rommel et son Afrikakorps sont en Libye. Au nord les forces de Vichy se sont rendues maître de la Syrie et du Liban, permettant à l’aviation allemande d’y établir des bases. En Irak, Rashid Ali el Khaylani prépare un soulèvement contre les autorités britanniques et entend prêter allégeance à l’Axe. Au sein de l’administration anglaise en Palestine et parmi les cercles dirigeants de l’armée britannique au Proche-Orient, revient en force l’idée de mettre à contribution la capacité militaire du Yshouv.

Le 17 février 1941, une année et demie après leur arrestation, les 43 prisonniers de la Haganah sont libérés. Ruth apporte à Moshé de nouveaux vêtements et le conduit à leur maison de Nahalal. Elle espère qu’enfin on accordera un répit à Moshé, qu’ils pourront reprendre tranquillement leur vie de famille et développer leur ferme. Le destin va en décider tout autrement.

Car au printemps 1941, imaginant la possibilité d’une invasion du pays par les forces de l’Axe, l’État Major de la Haganah décide de mettre sur pied une force armée soumise soumise à l’autorité du Yshouv. Deux compagnies sont d’abord créées dans le nord du pays. Its’hak Sadeh est nommé commandant de la nouvelle force. Aux postes de commandants de compagnie, on retrouve les deux jeunes officiers les plus en vue du moment et proches de Sadeh depuis l’opération à ‘Hanita, à savoir Ygal Allon et Moshé Dayan. Pour l’heure les deux progressent coude à coude dans la hiérarchie.

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Patrouilles au Sud-Liban

Le commandement de l’armée britannique se tournent vers l’Agence Juive au moment où elle s’emploie à constituer ces nouvelles compagnies, pour lui demander des guides et des artificiers pour ses troupes qui s’apprêtent à envahir le Liban pour y déloger les forces vichystes. La compagnie commandée par Ygal Allon rejoint la force qui va opérer dans le secteur est proche de la frontière syrienne alors que Moshé Dayan et ses hommes sont envoyés en appui à une division australienne qui va remonter le long de la mer.

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Monument en souvenir d’une patrouille de saboteurs du Palma’h disparue lors d’une opération à Tripoli en Mai 1941. Yarkon, Tel-Aviv

Dayan concentre une trentaine de combattants à ‘Hanita qui se trouve à proximité de la frontière est commence à explorer le territoire controlé par les soldats français. Ne connaissant pas la zone s’étendant au nord de la frontière, il recrute Rashid, l’un des commandants de groupes de combattants arabe à l’époque de la grande révolte. De retour de ses patrouilles, Moshé rend compte au commandement chargé de l’invasion de la qualité des routes, du niveau de surveillance des ponts, de la présence des forces françaises, des routes facilement aménageables pour y faire passer des véhicules de transport et d’autres informations importantes pour la préparation précise de l’opération. La plupart des reconnaissances sont menées à l’initiative de Dayan, parfois sans ordre explicite de ses anglais. Dans le compte rendu détaillé qu’il rédigera après avoir été blessé, il racontera un épisode autours duquel la patrouille qu’il a envoyée tarde à rentrer et qui l’attend avec impatience, posté à la frontière :

« A 9h du matin, nous désespérions de les revoir. Et voici qu’à 9h30, enfin, les trois apparaissent. A leur vue notre coeur s’emballe. Leur apparence extérieure ne semble pas très encourageante. Ils ont l’air fatigués, épuisés par une marche harassante. La nuit avait été noire, il n’avaient presque pas pu se reposer en chemin. Ils on traversé une zone compliquée faite d’arbres, de rochers, de buissons au contact desquels leurs vêtements ont été mis en pièces, les transformant en haillons. Leurs chaussures en caoutchouc sont déchirées et leurs pieds enveloppés de chiffons. Leurs mains et leur visage ont et griffés par des ronces. Leur itinéraire passait par des montagnes hautes comme le Carmel mais plus escarpées. Ils avaient utilisé jusqu’à leurs dernières forces pour rejoindre la base. »

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